Nuit


Au loin on entendait le grondement de la nuit qui venait de tomber. Les montagnes dont seuls les sommets enneigés prouvaient leur existence, faisaient une ligne froissée, blanche dans le noir de l’infini.
Un point commença à sortir, brillant, du côté opposé à celui où la nuit s’était cognée. Il se gonfla. Il était d’un jaune or avec quelques taches de rouille légèrement cuivrées. Le hululement d’une chouette retentit. Son écho roula de gauche à droite et vice-vers-ça.
Le point s’était transformé en lune. Déjà haute dans le ciel elle se miroitait telle une déesse, dans un lac se trouvant dans un des abîmes de ses vallées. Le reflet parfois se brisait dans un craquement glauque et se reformait presque aussitôt.
Un second hululement rebondit dans l’espace. La silhouette noire et hachurée d’une chouette passa devant la lune jusqu’à la recouvrir complètement. Il ne restait plus que le reflet, seul dans la nuit.
Une pierre tomba, glissa, se releva et détala dans le lointain. Plus près, une branche craqua et s’étira longuement dans un soupir discret comme pour ne point réveiller la nuit. Le vent, froid, commença à souffler. Il siffla une balade sylvestre au beau milieu des bois environnants. Il fit une valse nocturne parmi les feuilles mortes et s’endormit sûrement dans une clairière.
La lune s’était déplacée, et, là-bas la neige brillait car elle n’avait rien d’autre à faire. Des nuages commencèrent à voiler la compagne du soleil. Un halo se forma autour de celle-ci lui faisant un anneau.
Le flash d’un éclair brisa l’obscurité durant un court instant, et, suivi de près par un roulement de tonnerre, amena la pluie. Elle se mit à tomber drue avec un clapotement doux. La nuit fût réveillée en sursaut par ce vacarme et se leva lentement pour aller vers des contrées plus accueillantes.

Avril 1988

SOMEWHERE

Quelque part dans l’univers il existe un pays qui est tellement grand, qu’au microscope on ne pourrait pas le voir. Des milliards de personnages y vivent, chacun à leur guise. Tous vivent ce qu’ils veulent, ils voyagent dans le temps, réalisent leurs plus profonds fantasmes. Le feu cohabite avec l’eau, les dragons parlent parfois de philosophie avec les flamants rose, tandis que le bitume se transforme en gazon. Parfois on rencontre des druides fabriquant des bombes atomiques, mais peine perdue, car tous les habitants de ce pays sont immortels. Ce pays, c’est, le plus grand, le plus petit, le plus laid, le plus beau, le plus cruel, le plus doux..., c’est l’imaginaire, l’imagination.
EMD20/3/88

Mon ombre

-Ce matin, en me levant, je n’ai pas trouvé mon ombre. D'abord j’ai cru l’avoir oubliée, dans la salle de bain mais après vérification j’ai dû me rendre à l’évidence, elle n’y était point. Je l’ai cherchée, sous le lit et aussi dans l’armoire ; je l’ai cherchée sous le tapis où elle aurait pu glisser et dans la cage d’escalier où elle aurait pu tomber ; je l’ai cherchée dans la cave où parfois elle se cache, dans le jardin, le grenier et même dans la cuisine; mais ce fut en vain. J’ai élargi mes recherches ; à mes voisins, mes amis et les commerçants du quartier: Personne ne l’avait vue! J’ai à nouveau fouillé la maison, de fond en comble, déplacé tous les meubles et vidé tous les tiroirs. Certes, j’ai trouvé tant d’autres merveilles que j’avais perdues auparavant, mes palmes de plongée qui d’ailleurs me sont trop petites maintenant, quelques disques et cassettes démodés et tant d’autres objets dont je ne suis pas là pour vous en faire la liste, Monsieur le Commissaire. Bien entendu tout laisse à croire qu’on me l’a empruntée ou volée, mais pourquoi faire? Qui de nos jours voudrait se promener avec deux ombres? Et pourquoi faire? c’est déjà assez difficile comme ça avec une ombre, pour la surveiller et l’entretenir; et puis deux ombres ensemble ça se chamaille!
Je n’ose plus sortir, dehors les gens me regardent et leur ombres se moquent de moi, faites quelque chose, s’il vous plaît, retrouvez moi la !

J’étais là et regardais cet homme au bord du gouffre, il était d’une pâleur maladive et complètement essoufflé après son long monologue (comme quelqu’un qui aurait été poursuivi par une bande de malfrats). ”Calmez vous !” lui dis-je en le regardant dans les yeux: ”Comment cela est-il possible de perdre son ombre?” continuai-je en souriant; et là vous ne me croirez pas, il s’est levé lentement et a été se placer au milieu de la pièce devant mon bureau, je me suis levé, aussi, pour mieux voir. Il n’avait pas d’ombre! J’ai failli éclater de rire mais je me suis retenu. Dans ma vie j’avais traité des affaires de toutes sortes, du vol de chien, du vol de voiture aux enlèvements d’enfants aux braquages de banques, des dossiers j’en avait épluché, des affaires j’en avais bouclée et des voleurs arrêté; Mais là! J’ai gardé mon sang froid et ai commencé mon interrogatoire: “Nom ? Prénoms ? Etc,Etc...”
L’enquête s’avérait difficile, peut-être était-ce une simple perte au quel cas quelqu'un, sûrement la retrouverait et la ramènerait, ce n’est pas rare avec les chiens. “Non il s’agit sûrement d’un vol, mais dans quel but ?” m'a-t-il dit. Je lui ai dit qu’il pouvait rentrer chez lui: ” Rentrez chez vous, Je m’occupe personnellement de votre...affaire et si vous avez du nouveau, appelez moi.”
Il est rentré chez lui, rasant les murs à l’ombre, et s’est enfermé à double tour.
J’ai commencé mes recherches chez les receleurs du quartier mais ils m’ont pris pour un fou “Commissaire arrêtes l’alcool!” et autres moqueries du même genre me furent envoyées en pleine tête. Les recherches s’avérèrent beaucoup plus délicates que prévu, je devais enquêter discrètement si je voulais garder ma crédibilité, passer pour un vieil ivrogne à six ans de la retraite alors que j’avais toutes mes chances d’être promu Commissaire Principal dans l’année. Les hôpitaux psychiatriques regorgent d’hommes et de femmes qui disent avoir perdu leurs ombres et qui pourtant marchent dessus toute la journée. Je m’y renseignai, à tout hasard, pour savoir si l’un des malades n’aurait pas depuis peu une deuxième ombre en sa possession, c’est tout juste si l’on ne m’a pas mis la camisole. Je commençais à douter de moi et j’avais d’autres enquêtes en cours, je n’avais pas de temps à perdre avec ce genre d’histoire.
eMd (c) 1990